Fille de Camille Laurens

Aujourd’hui je vous parle de “Fille” de Camille Laurens, édité chez Gallimard. J’ai ce livre depuis deux ans dans ma pile et j’avoue que j’hésitais à le lire par peur, que ça me touche trop ou que ça ne me plaise pas, je ne sais pas. J’ai senti que le moment était venu de l’ouvrir.

Laurence nait à Rouen à la fin des années cinquante. C’est la deuxième fille de la famille. Quand on demande à son père s’il a des enfants, il répond “non, j’ai deux filles”. Je crois que tout est dit dans cette phrase. Le sujet du livre et la problématique terrible qui va étreindre Laurence toute sa vie.

Est-ce qu’on vaut moins quand on est une fille ? Comment peut-on se construire en sachant que nous n’étions pas désirés pour ce que nous sommes ? Et lorsque Laurence devient mère à son tour, que transmettre à cette fille à qui on donne la vie ?Avec une écriture sensible et très juste Camille Laurens aborde tous ces sujets qui, pour une femme, peuvent être terriblement violents. Sans tomber dans le féminisme, quelle femme n’a pas un jour subi une remarque sexiste ou déplacée du fait de son sexe ? J’ai été profondément touché par ce texte que j’ai trouvé d’une vérité dingue, comme l’impression d’ouvrir le journal intime de l’auteure et de me plonger dans son âme.

Ce livre touchera certainement plus les femmes que les hommes mais je conseille à ces messieurs de l’ouvrir, ils pourraient apprendre un ou deux trucs.

« Une bête au paradis » de Cécile Coulon

Le Paradis est une ferme où Emilienne élève seule ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel. Leurs parents sont morts au détour d’un virage. Elle recueille également Louis, un adolescent battu par son père, qui va faire du Paradis son seul univers. 

A l’adolescence Blanche rencontre Alexandre, un garçon beau et solaire. Ayant beaucoup de facilités, Blanche aide Alexandre à remonter sa moyenne. 

Premier copain, premier amour et premier chagrin. 

« Une bête au paradis » c’est l’histoire d’un amour fou. Un amour pour une ferme, pour une terre mais aussi pour un homme. Un amour qui fait perdre la tête et oublier les choses et les gens qui comptent vraiment. 

Blanche est une femme dont la passion l’emporte sur la raison, pour qui la sensation et le ressenti prime sur le reste. L’odeur d’un corps comme l’odeur d’une bête. 

On assiste à un huis clos oppressant, la tension nait petit à petit, tous les personnages agissent et réagissent intensément, de manière viscérale. C’est violent et beau en même temps et très poétique comme peut l’être Cécile Coulon.  

Quand le Paradis rejoint l’enfer. 

Edition Le Livre de Poche

« Le consentement » de Vanessa Springora

Vanessa a 13 ans quand elle rencontre l’écrivain G.M. par le biais de sa mère qui travaille dans une maison d’édition. Très vite celui-ci commence à lui écrire. Vanessa ne voit jamais son père, celui-ci instable a fini par quitter le foyer. Elle est en manque de figure paternelle et voit en G. la chance d’être aimée par un homme comme son père. 

Commence alors l’emprise de cet homme de quarante ans son aîné sur cette jeune fille en manque d’attention. Il l’initie aux plaisirs sexuels et n’hésite pas à emmener sa petite conquête partout où il va. Peu de monde trouve cette relation malsaine à l’époque, même pas la mère de Vanessa. 

Il était une époque où un écrivain pouvait raconter ses exploits sexuels avec des mineurs garçons ou filles et ça ne choquait personne. On l’invitait même à de célèbres émissions littéraires. Ce même écrivain était certain d’être un bienfaiteur auprès de ces enfants, il les initiait, rien de mal à ça. 

Vanessa Springora raconte autre chose. L’histoire de l’emprise, de la manipulation, de la perversion d’un homme sur un esprit faible. Comment cette expérience a quasiment détruit sa vie, incapable pendant de longues années d’avoir une vraie relation avec un homme. 

Le consentement est une notion abstraite. Quel consentement peut donner une adolescente perdue entre un père absent et une mère démissionnaire ? Est-elle capable de consentir à quoi que ce soit ou simplement cherche-t-elle un peu d’attention pour exister ? 

Vanessa Springora nous livre son histoire, dure, sans fioritures ni faux-semblants pour enfin se libérer de cet homme qui a souillé plus que son corps. 

Edition Le Livre de Poche

« Né d’aucune femme » de Franck Bouysse

Alors que Gabriel est un jeune curé de campagne, il est appelé pour faire la mise en terre de Rose, morte à l’asile du coin. La veille lors d’une confession une femme lui demande de récupérer des carnets noirs qu’elle aurait caché sous la robe de la morte. Malgré ses réticences il décide de prendre les carnets et de les lire.

Dans une petite ferme, Rose est l’aînée de quatre filles. A 14 ans son père décide de la « vendre » à un gros propriétaire terrien de la région. Celle-ci est emmenée sans savoir ce qu’on attend d’elle. Une nouvelle vie faite de souffrance et de désillusion.

Je n’avais entendu que du bien de ce roman de Franck Bouysse et j’hésitais à le lire de peur d’être déçue. En fait ça a été la claque. Un roman d’une puissance étonnante. Dès les premières pages on sent qu’on entre dans une histoire particulière.Les personnages sont forts et complexes, les paysages extrêmement bien décrits participent à l’univers et l’écriture est magnifique.

Malgré la dureté et la violence de l’histoire ce n’est pas glauque, juste réaliste. Le destin de Rose est émouvant et déchirant. Le lecteur est en empathie totale avec elle. Réussir à saisir les lecteurs à ce point est l’apanage des grands écrivains. On referme ce roman avec un sentiment partagé entre tristesse et espoir.

Pour les quelques personnes qui ne l’auraient pas encore lu, vous pouvez vous y plonger sans crainte.

Édition Le Livre de Poche

« Nature humaine » de Serge Joncour

Alexandre a repris la ferme familiale située au fin fond du Lot. Il vit seul dans cette ferme qui a abrité ses parents et ses trois sœurs, toutes parties dès que cela a été possible.

De 1976 à 1999, la ferme évolue. Alors qu’il se retrouve mêlé malgré lui à des exactions terroristes contre des centrales nucléaires, pour l’amour d’une fille, il participe à ces changements. Évolutions technologiques, intensification de l’élevage dû à l’essor des centres commerciaux et à la demande croissante, les terrains vendus pour laisser la place à des autoroutes. A l’aube de l’an 2000 qu’en est-il de la vie d’agriculteur ?

Serge Joncour dresse le portrait de la France profonde sur deux décennies. Profonde car il nous parle des campagnes et des gens qui y travaillent, les paysans. Alexandre représente tous ces jeunes gens qui ne voyaient d’autre avenir que poursuivre le travail de leurs pères. Parce que c’était ainsi mais aussi parce qu’ils y croyaient.

Au long de ces années la société a bien changé, la façon de cultiver, d’élever le bétail. Et Serge Joncour a les mots justes pour restituer au plus près cette époque. Des personnages vrais que j’aurais pu rencontrer, fille de la campagne que je suis.

Encore une fois un roman, témoin d’une époque, totalement maîtrisé qui mérite amplement toutes les récompenses reçues.

Édition Flammarion

« Les fleurs de l’ombre » de Tatiana De Rosnay

L’histoire se passe dans un futur proche. Un futur un peu sombre où des attentats ont rayé de la carte la plupart des monuments les plus importants des grandes villes mondiales. La technologie a fait aussi un énorme bond en avant.

Clarissa Katsef est auteure, ses thèmes de prédilection étant les écrivains et leur rapport aux lieux qu’ils habitent. Alors qu’elle cherche un logement suite à son départ précipité du domicile conjugal, on lui parle d’une résidence d’artistes, flambant neuve, hyper high-tech où tout est géré par des ordinateurs.

Elle s’y installe mais très vite elle ressent de l’angoisse et a le sentiment d’être constamment observé.

Tatiana De Rosnay nous propose une uchronie, un roman d’anticipation où le monde s’est dégradé. Plus personne ne lit de livres papier, des drones commettent des attentats, le réchauffement climatique a continué de faire son œuvre et la pollution est à son comble.

Dans cet univers un peu noir on retrouve tous les thèmes favoris de l’écrivaine: l’influence du lieu où l’on vit, le deuil, le doute de l’artiste, le travail d’écriture de l’auteur et l’intimité bafouée.

Ce n’est pas mon roman préféré de Tatiana De Rosnay mais, comme à chaque fois, il y a une qualité d’écriture indéniable.

Édition Robert Laffont/Héloïse d’Ormesson

« Oh happy day » de Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat

Il est des livres que vous lisez par hasard, la couverture vous a plu, un ami vous l’a prêté. Et souvent ces livres là procurent de bonnes surprises. C’est le cas de celui-ci que j’ai eu la chance de pouvoir lire.

Pierre-Marie Sotto est un écrivain reconnu, récompensé par un Goncourt. Quatre ans auparavant il a mis fin à sa liaison avec Adeline Parmelan et il hésite aujourd’hui à la recontacter afin de récupérer un petit carnet qui pourrait lui redonner l’inspiration pour un nouveau roman.

Ce carnet est un bon prétexte pour renouer un lien avec cette femme qu’il aime toujours. Adeline a refait sa vie, se prépare à un grand déménagement mais elle répond à Pierre-Marie. Et leurs joutes littéraires reprennent.

Avec « Oh happy day » le lecteur peut renouer avec les grands romans épistolaires du 18ème siècle. Un échange de correspondance entre deux protagonistes qui permet de comprendre leur relation et leur motivation.

Un lien très fort uni Pierre-Marie et Adeline et on le voit ressurgir au fur et à mesure des mails qu’ils s’envoient. Comme une évidence il la recontacte au moment où elle en a le plus besoin. Et il n’y a pas que des échanges de lettres ou de mails dans ce roman ce qui donne encore plus de consistance à ces personnages.

Écrire à quatre mains ne doit pas être chose aisée mais les deux auteurs nous offrent une belle histoire d’amour ponctuée de moments assez rocambolesques. Une histoire d’amour entre séniors qui prouve que l’amour n’a pas d’âge.

Je n’ai pas lu « Et je danse aussi » où apparaissent pour la première fois Pierre-Marie et Adeline mais je n’ai pas eu l’impression d’avoir manqué des choses. Ça m’a par contre donné envie de m’y plonger!

Fleuve Éditions

« Les guerres intérieures » de Valérie Tong Cuong

Pax Monnier est comédien depuis longtemps mais n’a jamais vraiment percé. Lorsqu’il obtient un casting avec un célèbre réalisateur américain, plus rien ne compte. Pas même les bruits de lutte qu’il entend au-dessus de chez lui alors qu’il se prépare à son entrevue. Il se dit que ce n’est pas grand chose et qu’il ne pourrait rien faire de toutes façons.

Mais un jeune homme a été attaqué, laissé quasiment pour mort, sombrant dans le coma.

Un an plus tard, Pax rencontre Emi Shimizu et en tombe fou amoureux. Ce qu’il ne sait pas c’est qu’elle est la mère du jeune homme qui habitait dans son immeuble.

Valérie Tong Cuong a vraiment le don pour décrire les ressorts de l’âme humaine. Tous les sentiments ambivalents qui nous animent. Comment une même personne peut faire le bien comme le mal, tout en pensant faire les choses comme il faut? Où commence la lâcheté et où se situe le courage? La limite entre les deux est bien mince.

Les questionnements des personnages de ce roman sont ceux que n’importe lequel d’entre nous pourrait avoir. Celui qui n’a rien fait alors qu’il aurait pu, la mère qui ne sait pas comment aider son fils, le fils agressé qui ne sait pas comment reprendre une vie normale.

Valérie Tong Cuong n’oublie jamais non plus d’ancrer son histoire dans un contexte politique et social très actuel. Elle nous parle du très intime tout en interrogeant le lecteur sur le monde qui l’entoure. Et tout ça écrit avec sa plume directe et incisive.

Le Livre de Poche

« Une joie féroce » de Sorj Chalandon

Jeanne est libraire. Elle vit avec Matt dans une routine monotone depuis le décès de leur enfant. Mais alors qu’on lui détecte un cancer du sein, un sentiment refait surface, celui de vivre et d’être libre.

Les femmes qu’elle rencontre pendant ses séances de chimio et qui sont donc atteintes du même mal vont lui être d’un grand secours afin de reprendre sa vie en main.

C’est toujours avec plaisir que j’ouvre un roman de Sorj Chalandon. Je sais que je vais y trouver une histoire humaine. Une histoire qui va me toucher au cœur et qui va me faire réfléchir.

« Une joie féroce » ne déroge pas à la règle. L’auteur aborde un sujet douloureux, le cancer, et là où il aurait pu facilement y avoir du pathos, il n’y a que de la solidarité et de l’humour. Ces femmes ne baissent pas les bras, malgré les effets secondaires des traitements elles veulent profiter du temps qu’elles ont quitte à faire des choses qu’elles n’auraient jamais osé faire en temps normal.

De beaux portraits de femmes combatives et courageuses.

Édition Le Livre de Poche

« Les imbéciles heureux » de Charlye Ménétrier McGrath

Les Imbéciles Heureux c’était une bande de potes. Ils se sont rencontrés au lycée et étaient inséparables. Si le temps en a éloigné certains, il reste le noyau dur. Florence, Charly, Camille, Marie et Nico.

Florence s’était mise dans la tête de réunir le groupe au complet, mais le destin s’en est mêlé. Charly, son mari, meurt dans un accident de la route. Toute la bande est sous le choc et réagit à sa manière. Florence, elle, fait face pour ses filles jusqu’au jour où elle réalise que la meilleure façon de faire son deuil serait d’arriver à réunir tous les Imbéciles Heureux.

Malgré l’évènement tragique de départ, ce roman n’est pas triste. Il y a beaucoup d’humour et de légèreté. Camille, passionnée de vidéo, avait filmé à l’époque tous ses amis en leur demandant ce qu’était pour eux le bonheur. Adultes, ils vont avoir l’occasion de se confronter à leur double adolescent et réaliser le chemin qu’ils ont parcouru, parsemé de joie et de désillusion.

Ce roman est une ode à l’amitié bien évidemment, mais aussi un hommage à l’adolescent que nous avons été et aux rêves avortés. Sommes-nous vraiment devenus l’adulte que nous espérions ? Et si ce n’était pas le cas, il ne serait pas trop tard pour le devenir!

Une petite dose d’optimisme ne fait pas de mal par les temps qui courent.

Fleuve édition.